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Le voyage interdit

(réalisé)
Octobre 2020, en plein Covid, un second confinement se dessine. 
Nous prendrons la route depuis Agay dans le sud de la France et nous mettrons le cap sur Zakopane en Pologne, pays d'origine de ma compagne, en espérant des jours meilleurs une fois là-bas. Mais la liberté a un prix, seule issue : la route, les forêts, l'inconnu... Nous enchaînerons les kilomètres à l'aide de deux vieux vélos, ils nous faudra faire face aux problèmes, seuls, autonomes, affrontant des conditions météorologiques compliquées, les forêts comme ange gardien de nos nuits dehors, puis parfois, une rencontre, une porte qui s'ouvre, la Providence. Durant cette aventure hors du commun, nous serons les spectateurs d'un monde paralysé, où la peur règne, où les restrictions durcissent de jour en jour, où faire des plans n'existe plus, où le gîte et la douche chaude, quand l'appel du confort arrive, ne seront plus qu'un lointain souvenir. Nous vivrons au jour le jour ne pouvant compter que sur nous-mêmes et nos modestes connaissances en survie. Nous apprendrons énormément, ferons de belles rencontres, vivrons des émotions très fortes et dépasserons nos limites. Nous parviendrons à atteindre notre but le 3 janvier 2021 après 65 jours de route à travers l'Europe, une aventure qui restera gravée dans nos mémoires.
vélo de route
Quand : 29/10/20
Durée : 65 jours
Distance globale : 1782km
Dénivelées : +11873m / -10980m
Alti min/max : 10m/1167m
Carnet publié par Chris et Ada le 25 avr.
modifié le 29 avr.
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
C'est possible (ou réalisé) en train
Précisions : Une partie se fera en train, entre Théoule-sur-Mer et Vintimille, à la frontière italienne, afin d'éviter de justesse la fermeture du pays. Nous parcourrons également une cinquantaine de kilomètres en voiture en Hongrie, pour honorer la généreuse ...
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Vue d'ensemble

Le topo : Section 7 (mise à jour : 29 avr.)

Distance section : 383km
Dénivelées section : +1981m / -1288m
Section Alti min/max : 111m/1051m

Description :

La Slovaquie, notre dernière étape avant d'atteindre la Pologne, s'annonce comme la plus difficile. Nous devrons affronter une météo épouvantable : pluie, neige, froid et montagnes seront au rendez-vous. Tout cela avant d'atteindre enfin notre objectif le 3 janvier 2021 : les Tatras.

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Le compte-rendu : Section 7 (mise à jour : 29 avr.)

21 DECEMBRE


Nous voilà sur l'EuroVelo 6. Le tronçon que nous empruntons n'est pas trop mal et longe une rivière. La piste remonte jusqu'à Bratislava. Évidemment, ce n'est pas du tout notre objectif, au Grand Dieu, non ! Notre plan est de bifurquer au plus vite. Nous empruntons une autre piste cyclable qui nous fait traverser plus loin le célèbre fleuve du Danube. Une fois de l'autre côté, nous marquons une pause pour faire quelques photos devant le Danube, et nous apercevons les panneaux de direction écrits en slovaque. Surpris d'abord, mais non, nous ne rêvons pas ! Nous sommes bel et bien en Slovaquie. Pas de frontière, pas un drapeau, pas un douanier. Nous sommes rentrés comme dans du beurre et crions victoire en pédalant et riant le long du Danube. Nos chants déclenchent la pluie, et toujours dans l'euphorie, nous commençons à chanter la célèbre chanson de Gene kelly : 'I'm Singing in the Rain'.
Dernière étape avant la Pologne, alors en avant ! Cap sur les villes de Trstenà et de Žilina, plus au nord, où nous devrions retrouver de jolies vallées et la montagne.
On peut sentir que la capitale n'est pas très loin. Le coin est lugubre, des camps de tziganes abandonnés un peu partout, les détritus s'amoncellent, les chaises en plastique laissées sur place, des cercles de feu, des poubelles accrochées aux arbres. Bref, ça ne va pas être une partie facile pour le bivouac dans le coin. Il nous faut rouler et sortir de ce bourbier, mais la pluie ne nous facilite pas la tâche.
Escale dans le premier bled où, abrités sous un abri-bus, nous scrutons la carte et repérons quelques sentiers s'enfonçant dans ce qui semblerait être des forêts. Encore faut-il qu'on soit seul !
Nous nous éloignons le plus possible et tentons de rentrer sur un petit sentier. À peine la place pour les vélos. C'est brumeux, nous pataugeons dans la boue, la routine ! Mais la pluie a cessé, le coin a l'air propre, pas de détritus, pas de squats. Un point d'eau avec quelques barques et des pontons. On dirait un site de pêche, ça fera l'affaire. Nous installons le bivouac et quelques cygnes nous rendent visite.
Grosse frayeur ce soir quand des lampes torches éclairent de l'autre côté du point d'eau. Nous ne bougeons pas d'un poil et observons la scène. Comportement bizarre puisque les torches éclairent la cime des arbres. Deux mecs ont l'air de tourner en rond, le manège dure au moins 20 minutes avant qu'il ne disparaisse. Jamais le faisceau ne s'est dirigé vers nous, mais ça laisse perplexe. Qu'est-ce qu'ils manigançaient ? Après ça, nous tarderons un peu plus longtemps avant de finir par nous endormir. 











Le Danube dans mon dos, nous voilà en Slovaquie pour la dernière étape.
Le Danube dans mon dos, nous voilà en Slovaquie pour la dernière étape.
Notre premier bivouac slovaque.
Notre premier bivouac slovaque.
Un joli point d'eau avec quelques cygnes qui nous rendent visite.
Un joli point d'eau avec quelques cygnes qui nous rendent visite.
22 DECEMBRE

La pluie nous surprend alors que nous plions le bivouac. Le camp est plié en un temps record et c'est vêtus de nos ponchos que nous retrouvons le Danube. Direction Dunajská Streda, nous chantons de nouveau "I'm Singing in the Rain" en boucle, un genre de mantra permettant de garder le cap et d'échapper à cette torture, car en toute honnêteté, le plaisir a disparu depuis déjà bien longtemps. On avance maintenant qu'au mental. On enjambe l'immense Danube pour changer de rive et atterrir à Dunajská Streda. La ville est glauque, les magasins sont fermés, le peu de gens croisés peu souriant, pas un sapin, aucunes lumières ni même de déco de Noël. Bonjour l'ambiance !
Après avoir patienté 20 minutes sous un abribus, on a bien compris que la journée resterait pourrie. Alors au lieu de se refroidir, roulons le plus loin possible pour échapper à ce mouroir. À court de chansons, les ponchos atteignant leurs limites, nous pédalons comme des zombies, sans un mot, nous préparant mentalement pour une nouvelle nuit dehors.
La nuit tombe et toujours pas un coin correct pour le bivouac. Nous avalons les kilomètres en suivant le faisceau de nos lampes frontales, hypnotisés par les lignes blanches qui défilent, le cerveau est complètement débranché, le mode survie enclenché. Plus aucune douleur, plus aucune émotion, nous sommes prêts à rouler jusqu'à l'aube s'il le faut pour échapper à cette pluie.
Soudain, une pancarte m'éblouit avec le reflet de la lampe. Comme un flash, j'aperçois "Penziónova reštaurácia" - soit "pension restaurant". Un mirage ? Un espoir ? Aucune voiture sur le parking, mais une petite lumière éclaire une pièce et indique une présence. Trois hommes discutent autour d'une bouteille. Nous frappons à la fenêtre et un d'entre eux vient nous ouvrir. Ada enclenche la conversation, le polonais étant similaire au slovaque, elle se fait rapidement comprendre. De toute façon, vu notre état, le bonhomme n'a pas de mal à comprendre. Il prétexte d'abord que les restrictions sont claires et que l'établissement est fermé, mais il s'éclipse pour passer un coup de fil. Puis il revient en nous indiquant de le suivre. Alléluia ! Il nous ramène dans un hangar, une écurie plus précisément. Les vélos dormiront ici, mais sans nous. Il nous ouvre une piaule à l'auberge et nous demande de rester discrets. L'eau chaude est coupée et le chauffage aussi, mais le fait de dormir sous un toit et au sec est largement suffisant. Et puis, il fera toujours moins froid que dehors ! La Providence...
Le bonhomme réapparaît 5 minutes plus tard avec une bouteille, et par politesse, nous descendons en sa compagnie quelques rasades du tord-boyaux qu'il boit avec ses copains. C'est le coup de grâce après le troisième shot, et nous ne tarderons pas a sombrer dans un profond sommeil.


23 DECEMBRE


Un gaillard au gabarit proche d'un frigo vient à notre rencontre lorsque nous récupérons nos vélos à l'écurie ce matin. Raphaël est français et a entendu parler de notre aventure ; il tient à faire notre connaissance. Il est garde du corps pour des clients fortunés sur la Côte d'Azur durant la période estivale et vient s'occuper du ranch de sa belle-famille pendant l'hiver, loin des paillettes. Sa femme n'est autre que la fille de notre hôte. Nous discutons un peu avant de prendre la route. Le ciel est toujours chargé mais la pluie n'a pas l'air de se décider. Nous profitons de cette fenêtre pour filer en direction de Galenta, les affaires encore froides et humides. Sur la route, beaucoup de camps de tziganes, des familles entières vivant dans de vieilles maisons abandonnées ou sous des abris de fortune. L'ambiance est bonne, les gosses viennent à notre rencontre et courent à nos côtés. Les poubelles éventrées par quelques chiens errants jonchent les bas-côtés dans une odeur nauséabonde. La région est vraiment charmante ! Cependant, la Slovaquie ne se résume pas à cela. Étant venu skier quelques années auparavant dans les Hautes Tatras, au nord du pays, d'immenses forêts, des montagnes fabuleuses, des villages pittoresques et une cuisine rustique font la fierté de ce pays. J'ai de très bons souvenirs et vraiment hâte de retrouver ces immenses vallées. À Galenta, c'est toujours la même ambiance. Nous profitons d'un supermarché ouvert pour faire le plein. Nous repérons un bout de forêt sur la carte à la hauteur de Sered', la prochaine ville. Allons voir si le lieu est propice au bivouac. Malheuresement, non, on évitera de dormir par ici. Une base militaire est sur place, un tank en guise de déco, des sentiers boueux et une forêt lugubre et sans vie nous font rebrousser chemin aussitôt. Une fois de plus, on roulera de nuit dans l'espoir de trouver mieux. Nous roulons à un bon rythme et avalons au moins une quarantaine de bornes supplémentaires avant de tomber sur l'oasis, un snack ouvert sur le bord de la route. S'ensuit un vrai massacre où cheeseburger, frites, tiramisu et soda s'engloutissent en un temps record. Au moment de payer la note, le patron nous dit qu'un client anonyme a payé notre addition avant de partir. Beau geste ! Le plein de mauvaises graisses effectué, il nous faut maintenant remonter en selle et trouver un coin pour dormir, on aura plus qu'à s'écrouler dans nos duvets. Pas évident de repérer un bout de forêt dans l'obscurité de la nuit, nos lampes frontales nous restreignent à un faisceau limité, mais le prochain village commence à sentir la campagne, l'ambiance a l'air de changer et une forêt se planque derrière. Sauf que le sentier boueux est en dévers et pas un balcon pour planter la tente, exténués, deux chutes dans la boue me feront perdre mon sang-froid, et le pire est de retour : la pluie, heuresement l'ombre d'une baraque apparaît, il n'y a pas de clôtures, tout est fermé, pas de traces de vie, on ne se pose pas la question deux fois, il est presque minuit, on ouvre la tente sur un petit terrain plat derrière la maison et le calvaire prend fin, il pleut des cordes, ce n'est qu'une fois abrité que nous nous rendons compte que nos rêves d'un réveillon de Noël dans un gîte chaleureux viennent de s'envoler. Demain c'est le 24 décembre et si la pluie ne cesse pas, nous ne bougerons pas d'ici.








La région est charmante !
La région est charmante !
24 DECEMBRE

J'ouvre les yeux et entends la pluie qui continue de tomber. Bientôt deux semaines de temps pourri, dur pour le moral. On est sans cesse humide, rien ne sèche, c'est vraiment rude. Enfin bon, on est au moins protégé par la tente et avons bien fait de prévoir hier. On a acheté du saumon fumé, de la crème fraîche, des câpres et un gros pain de campagne. Notre réveillon de Noël va se passer sous la toile à déguster des canapés au saumon, original! On s'occupe comme on peut aujourd'hui, on grignote, on fait un peu de couture, on s'exerce également à la méditation en pratiquant un peu d'imagerie mentale, méthode qui consiste à créer des images dans son esprit, à visualiser des actions vivantes, positives, se voir réussir, concrétiser son objectif  en ce qui nous concerne. Je m'imagine dans des situations complexes, monter le bivouac sous la neige ou dans l'obscurité, allumer un feu dans la neige en exécutant des gestes précis dans un ordre précis, etc. Le soir venu, nous dressons notre petite table de Noël. Sur nos tapis de sol, nous disposons quelques gros canapés au saumon, quelques rasades de palinka pour accompagner et trinquer à la liberté. Explosion de saveurs lorsque nous croquons dans le saumon fumé, on déguste chaque bouchée. Un moment pareil se savoure, nous redécouvrons le plaisir. Un pur moment de bonheur capté et dégusté comme il se doit, nous passons à côté de tellement de petits moments de bonheur aujourd'hui quand on y réfléchit un peu, toujours à lui courir après sans se rendre compte qu'il est là, juste à portée de main, chaque jour, attendant qu'on le saisisse. Une chose est sûre, c'est qu'on n'oubliera pas ce réveillon de Noël, un Noël pas comme les autres.
J'ai débité pas mal de bois cet après-midi ! Non, je rigole bien sûr ! C'est l'endroit où nous avons passé le réveillon de Noël sous la pluie.
J'ai débité pas mal de bois cet après-midi ! Non, je rigole bien sûr ! C'est l'endroit où nous avons passé le réveillon de Noël sous la pluie.
25 DECEMBRE

Quel plus beau cadeau de Noël que le soleil ce matin au réveil. Le ciel est bleu mais il fait un froid de canard, 0 degré affiche le thermomètre. Ça fait longtemps que nous n'avons pas apprécié notre café comme ça, les yeux fermés et le visage dans le soleil. Nous rechargeons les batteries, la température remonte doucement et nous laissons le matériel sécher par la même occasion. La toile de tente est durcie par le givre. Nous mettons les voiles en fin de matinée et découvrons un peu le coin. Nous traversons de jolis villages, les guirlandes et décorations de Noël illuminent les maisons, les familles sont de sortie, réunies pour Noël. Nous avons le droit à de grands sourires, ça fait du bien, j'ai l'impression que le pire est maintenant derrière nous, quel calvaire cette première partie slovaque. La motivation est revenue, nous avons retrouvé la pêche et filons en sifflotant sur nos vélos.
C'est une station-service qui nous servira de point de ravitaillement, rien n'est ouvert en ce jour de Noël et il nous faut en profiter. Nous devons traverser un champ et entrer par un portail resté entrouvert pour nous y rendre, puisque la station est sur l'autoroute. Nous venons aussi faire le plein d'essence. Les estomacs vides, nous dévorons tout ce que nous trouvons, on trouve même des raviolis aux épinards qui feront office de plat principal ce soir pour accompagner le reste de saumon.
Ce soir, l'objectif est de trouver une belle forêt et de faire un gros feu de camp. Les flammes nous manquent, nous sentons le chien mouillé depuis des jours, nous qui avions pris l'habitude de faire d'agréables bains de fumée autour du feu. Il faut savoir que la fumée est un excellent antibactérien, désodorisant, la cendre également a divers bienfaits, et puis c'est toujours plus agréable d'être bien sec et de sentir la fumée que le chien mouillé.
Nous abordons le village de Beckov où un très beau château médiéval culmine sur une colline. Plus loin, un sentier bifurque et s'enfonce dans un bout de forêt, seulement il monte raide, trop raide pour pousser les vélos chargés. Je pars en éclaireur et trouve un joli balcon, il surplombe le village et nous pouvons apercevoir le château. Il nous faut maintenant monter les affaires au fur et à mesure, nous y passons au moins 30 minutes, le prix à payer pour profiter d'un beau bivouac un soir de Noël. Le ciel est clair ce soir, rempli d'étoiles.










Le château de Beckov, datant du XIIIe siècle.
Le château de Beckov, datant du XIIIe siècle.
Bivouac de Noël.
Bivouac de Noël.
26 DECEMBRE

Un peu perdus dans la ville de Trenčín ce matin, il faut dire que ça fait un moment que nous n'avons pas traversé une ville aussi grande. Nous finissons par en sortir et mettons le cap au nord, en direction de la ville de Žilina par la route 507. C'est de plus en plus joli, le paysage se transforme peu à peu, l'architecture également. Le béton laisse la place au bois et à la pierre, les forêts commencent à réapparaître, l'air est plus vif, les montagnes se rapprochent. Ça monte, mais le dénivelé est très progressif et nous permet de continuer à pédaler tout au long de la journée. Nous roulons bien, profitons de pauses régulières dans les stations-service, elles sont bien achalandées en barres énergétiques, sandwichs etc., et nous pouvons boire une boisson chaude. C'est le grand luxe après ce que l'on a vécu. Le seul bémol, c'est que la plupart des forêts qui nous entourent sont en dévers, un détail qui nous complique un peu la tâche lors des bivouacs. Il nous faut trouver un balcon, ce qui n'est pas toujours facile, ça prend du temps, de l'énergie pour ratisser la forêt, et puis il faut monter ensuite tout le matériel, faire des allers-retours car il nous est impossible de pousser les vélos dans ce chantier avec des pentes très raides à travers les bois. Mais ça nous permet au moins de ne pas nous refroidir car les températures ont chuté, mais c'est moins humide. Je préfère rouler par 2 ou 3 degrés dans un froid sec avec une belle météo que 7 ou 8 degrés humides et une météo pourrie.
Nous sommes dans une belle forêt ce soir, Ada monte la tente pendant que je débite du bois et les premiers problèmes surgissent. C'était trop beau pour être vrai ! L'arceau de la tente se brise de nouveau, quelques centimètres plus loin que ma réparation de fortune. Pas le choix, il me faut virer un morceau et reconsolider une fois de plus avec du duct tape. Une longueur en moins, la tension est encore plus forte et nous croisons les doigts pour que ça tienne. Trouver un arceau neuf, c'est compliqué vu les temps qui courent, peut-être chez Decathlon ? Ça continue quelques minutes plus tard, cette fois-ci c'est ma scie pliante qui lâche. La poisse ! Sans la scie, difficile de préparer un feu correct, à part briser des branchages avec les mains ou les pieds, système D plutôt dangereux si un retour de branche me venait droit dans la figure, ce n'est pas le moment de se blesser. Par chance, la lame s'est brisée presque au niveau du manche, il me reste donc une bonne longueur de lame. Je gamberge un peu et décide de tenter un truc. Je chope une petite section de bois et commence à tailler une encoche au couteau à l'interieur. Le but est de la faire la plus profonde possible et juste un peu plus large que la lame. Je m'arme de patience et finis par obtenir quelque chose de correct. L'étape suivante est de bourrer l'encoche de super glue et d'y enfoncer la lame. Je la laisse bien sécher et teste mon prototype en essayant de ne pas forcer comme une brute. C'est plus long mais ça fait le job.








Le feu, notre meilleur ami.
Le feu, notre meilleur ami.
Ma scie artisanale, seulement 10 cm de lame à l'intérieur du bois, il fallait que je garde un peu de longueur de coupe, mais ça fonctionne !
Ma scie artisanale, seulement 10 cm de lame à l'intérieur du bois, il fallait que je garde un peu de longueur de coupe, mais ça fonctionne !
27 DECEMBRE

Deux mecs surgissent en VTT lorsque nous quittons la forêt et s'arrêtent pour faire un brin de causette. Ivan et Lukáš, père et fils, qui partagent la même passion pour le VTT. Ils sont impressionnés par notre histoire et nous proposent de venir boire le café chez eux. Nous acceptons avec plaisir l'invitation et nous voilà escortés. La scène est marrante : eux super équipés, vélos modernes, combinaison et casque de moto-cross, et nous deux derrière avec nos vieilles charues et nos dégaines d'extraterrestre. La maman de Lukáš nous accueille comme des rois. C'est dimanche et elle prépare le repas de famille. Nous avons le droit à du thé bien chaud, des pâtisseries, puis ils nous invitent à rester déjeuner. Ivan ne tarde pas à ouvrir une bouteille d'alcool de pomme fabrication locale et les premiers verres commencent à descendre. Nous passons un super moment à discuter, rigoler. L'horloge tourne mais on ne se met aucune pression. Si on traîne un peu, on retournera sur le camp de la veille. Profitons du moment et laissons-nous porter par l'ambiance. C'est en fin d'après-midi, au moment de quitter nos amis, qu'ils nous invitent à rester pour la nuit. Nos vélos dormiront avec la collection de VTT Lapierre et nous sur le canapé du salon. La Providence...
La douche chaude est fantastique ! Je ne me rappelle pas de la dernière, en Slovénie Je crois ? À Vransko, où la neige est tombée pendant trois jours. Il me faut 30 minutes pour démêler mes cheveux longs qui sont en train de se transformer en dreadlocks.
Ce soir, nouveau festin, rustique, typique des pays de l'Est où l'on retrouve souvent des cornichons sucrés, du poisson fumé, de la betterave sous toutes les formes mais très appréciée en soupe comme le fameux borsch. La télé tourne dans le salon et j'aperçois une femme se faire injecter en direct. Il s'agit de la présidente slovaque qui se fait vacciner contre le Covid, en direct à la télé. Quelle mascarade ! S'il y a un truc qui ne manque pas, c'est bien la télé. Ivan écoeuré met rapidement fin au spectacle. Je note d'ailleurs qu'aujourd'hui aucun d'entre nous n'a abordé le sujet du Covid pourtant au cœur de toutes les discussions. Il est bon de parler d'autres choses que d'actualité. Ce soir, nous dormons auprès du sapin. On l'aura finalement, notre Noël !











Joyeux Noël !

Joyeux Noël !
Entourés de Lukáš et de sa maman avant notre départ.
Entourés de Lukáš et de sa maman avant notre départ.






28 DECEMBRE


Bizarrement, la nuit n'a pas été bonne. Nous sommes tellement habitués à dormir sous la tente par des températures fraîches que le fait de nous retrouver dans un canapé moelleux par une température ambiante de plus de 20 degrés nous a complètement perturbés. Enfin bon, on ne va pas se plaindre non plus ! surtout quand nous voyons la table du petit-déjeuner ornée de pâtisseries, de fruits frais, de thé et de café. Toujours aussi affamés, nous rendons hommage à nos hôtes et faisons le plein de calories pour les prochains jours. La montagne se rapproche à grands pas et les prochaines étapes vont se durcir. Une photo souvenir avec nos amis et nous reprenons la route, alourdis par cette nourriture généreuse. Nous n'avançons pas aujourd'hui, nous écourtons l'étape à la vue d'une belle forêt. À peine une trentaine de kilomètres mais on n'a clairement pas les jambes. Sur le camp, la pluie s'invite alors que je bâtonne du bois. Je camoufle tout sous mon poncho avant de me réfugier sous la tente. Pas de feu ce soir, la pluie continuera de tomber.


29 DECEMBRE


La pluie devient vraiment handicapante. Privés de gaz, nous sommes dépendants du feu pour chauffer le café le matin et pour cuisiner. Si il nous est impossible de faire du feu, et bien pas de dîner. On a de quoi manger mais ça ne vaut pas un bon plat chaud. Heureusement, ce matin la pluie cesse et nous permet de sortir de la tente à 9h. Le bois, camouflé sous les ponchos, est resté sec. Je démarre le feu et nous prépare un café chaud. On fait sécher le matériel par la même occasion, histoire de partir bien au sec. Aujourd'hui, nous devrions traverser Žilina, ville importante où nous allons essayer de trouver du gaz et pourquoi pas un arceau neuf. À peine l'étape démarrée que mon pneu arrière éclate. Je manque de peu me casser la figure! La chambre à air est éventrée, bonne à changer et je constate que mon pneu a les flancs complètement bouffés par l'usure. Je pense que c'est ça qui m'a fait déjanter. L'heure est venue d'utiliser mon pneu de secours. Le vélo est rapidement remis sur pied, flambant neuf, nous fonçons vers Žilina. On fonce tellement que nous rentrons dans la ville par la 61, un genre de périphérique à plusieurs voies, des tunnels, des ponts, des panneaux partout, c'est New York ! Nous essayons de garder un cap en évitant de faire trop d'écart, les voitures défilent, on est paralysés, accrochés à nos guidons et sortons de ce chaos par la première sortie sans trop savoir où l'on va. Par chance, nous entrons dans une zone industrielle et repérons un Decathlon. C'est ouvert mais l'accès est interdit, seulement pour venir récupérer une commande et une personne après l'autre. les restrictions ont encore sévi. J'interpelle un vendeur et lui résume un peu la situation. Viktor, il est sympa et comprend vite qu'on est dans la mouise. Il part à la recherche de gaz, la priorité, puis un pneu et un arceau au cas où. Il revient seulement avec un pneu, pas de chance. Je garde Viktor avec moi et lui demande de nous trouver une solution. Il scrolle sur son téléphone, et passe un coup de fil à un magasin d'outdoor. Le type a du gaz mais restriction oblige, il faut passer commande en ligne pour pouvoir passer récupérer la cartouche. Mais quel manège ! Je file un billet à Viktor et il passe commande en ligne. Le shop n'est pas tout près et ferme ses portes dans 30 min. Viktor prend une pause pour m'accompagner jusqu'au magasin, Ada reste avec les vélos et me voilà parti dans les rues de Žilina. 20 minutes plus tard nous sommes de retour et je brandis une cartouche Primus XL à Ada, comme un trophée. C'est bon, avec ça on devrait être tranquille. Nous embrassons notre copain et reprenons la route sous les premières gouttes de pluie. Deux heures sous la flotte avant de trouver un coin pour dormir, on est rincés et la dernière côte nous a achevés. Nous pataugeons dans la boue, j'en peux plus de cette pluie ! Ada trouve la force de nous préparer des gnocchis à la crème champignons, un grand réconfort après une journée pareille.









Passage au stand.
Passage au stand.
La pluie menace.
La pluie menace.
30 DECEMBRE


On a mal partout, les articulations sont malmenées avec cette humidité, on se sent mouillé de l'intérieur c'est horrible, rebelote aujourd'hui, le ciel est bas, de gros nuages menacent, à peine en route en direction de Terchovà que la pluie commence à tomber. Notre seule motivation est la frontière qui se rapproche, notre objectif aussi. Zéro plaisir en ce moment, c'est rude, mais on continue d'avancer, coûte que coûte. Nous faisons escale dans une station-service, je les appelle les "Covidbar", depuis que tout est fermé, les stations-service sont un point de rendez-vous, en plus des automobilistes s'ajoutent des groupes de personnes qui se retrouvent sur le parking pour boire une bière, manger un bout, c'est le seul endroit où l'on peut sentir de la vie, et trouver un peu de chaleur. Il y a du monde sur la route aujourd'hui, ça défile, beaucoup de gens montent certainement à la montagne pour la nouvelle année, je ne sais pas trop où en sont les restrictions à ce niveau-là, ça change d'un jour à l'autre, mais en tout cas, il y a du monde ! Nous pédalons toujours sous la pluie et abordons Terchovà, puis à la sortie de la ville, un nouveau mirage, j'aperçois une fourgonnette avec une pancarte "Pension Pizzeria Natalia" et je repense à ce grand gaillard qui nous avait chaleureusement reçus en Slovénie. L'auberge était fermée mais il pouvait vendre ces pizzas à emporter, c'est peut-être pareil ici, la fourgonnette doit sûrement s'occuper des livraisons, il doit y avoir quelqu'un, il nous faut trouver cette auberge. Nous revenons en ville et trouvons cette pension, une femme nous reçoit, en voisine, elle parle très bien polonais et Ada sort le grand jeu en lui expliquant qu'une nuit au sec nous ferait le plus grand bien. L'auberge est fermée mais après avoir inspecté nos piteux états, elle ne réfléchit pas longtemps pour nous faire entrer. L'auberge est toute neuve, immense, tout en bois, c'est magnifique ! L'architecture est typique des régions montagneuses des pays de l'est avec de énormes rondins de bois encastrés les uns dans les autres, c'est brut, j'adore ce style ! Elle nous ouvre une chambre immense, tout paraît tellement grand quand ça fait 2 mois que tu dors sous une toile de tente, quel bonheur ! Nous filons faire quelques courses et profitons d'être au sec pour faire une lessive, les fringues en ont bien besoin et nous aussi ! Nous passons un moment sous la douche chaude puis j'examine un de mes orteils douloureux, le début d'un panari à coup sûr. Les chaussures ne sèchent jamais avec cette humidité, en plus de l'eau qui dégouline à l'intérieur sans pouvoir ressortir, c'est un vrai nid à bactéries. Je vais y avoir droit c'est sûr, je m'occupe de bien désinfecter et on verra bien. Nous commandons d'énormes pizzas pour le repas ce soir. Dehors, il pleut des cordes.











Construction typique des régions montagneuses des pays de l'Est.
Construction typique des régions montagneuses des pays de l'Est.
31 DECEMBRE


La météo est correcte, 6 ou 7 degrés et pas de pluie.  Nous reprenons la route tout beaux tout neufs. Cependant, de la neige en altitude est annoncée pour les prochains jours et il nous faut mettre les gaz pour pouvoir passer le col qui nous attend avant qu'il ne soit impraticable. Une fois de l'autre côté, il ne nous restera plus grand-chose pour rejoindre la Pologne. Le décor est magnifique, les villages sont de plus en plus jolis et d'immenses forêts de pins nous entourent. La pente s'accentue peu à peu et nous attaquons maintenant le col. De l'autre côté, nous redescendrons sur la ville de Trstenà à une dizaine de kilomètres. De là-bas, nous devrions apercevoir nos Tatras polonaises, notre but se rapproche. La route en lacets se durcit et nous fait descendre de vélo, plus on monte plus la route est recouverte par la neige, ça se complique. Nous poussons nos charrettes dans les rails tracés par les pneus de voiture, cela nous permet de nous économiser un peu malgré que du verglas vient parfois nous déséquilibrer. Les altitudes sont peu élevées pourtant puisque le col frôle à peine les 1000 mètres, pas facile pour autant ! La neige est de plus en plus épaisse, ça sera compliqué de passer le col aujourd'hui. L'horloge tourne et nous préférons réserver le sommet pour demain matin, l'année prochaine ! Les températures chutent et la nuit approche, pas compliqué de trouver un coin pour le bivouac ce soir. Nous jetons l'ancre en contrebas de la route entre les pins et préparons le campement. Nous faisons un gros feu de camp pour célébrer la fin de l'année. Nous avons prévu du saumon, du maquereau, du fromage et de la vodka pour trinquer à nos aventures. Mais nous n'aurons pas la force de veiller jusqu'à minuit.










Plus on monte, plus c'est blanc.
Plus on monte, plus c'est blanc.
Bivouac de nouvel an.
Bivouac de nouvel an.
1ER JANVIER 2021


Il fait -5°C au thermomètre en ce premier jour de l'année. Cependant, le ciel est bleu, nous avons une belle fenêtre pour franchir le col. Je confectionne une paire de crampons pour Ada. Nous nous sommes épuisés la veille en glissant régulièrement dans la neige. J'utilise pour cela des colliers de serrage en plastique. J'en enroule plusieurs autour de l'avant de ses chaussures et je fais en sorte que les fermoirs soient dessous et décalés les uns des autres. Ce n'est pas révolutionnaire, mais ça permet un peu plus d'accroche dans la neige. Pour ma part, j'ai une paire de chez Decathlon, entrée de gamme, juste un bout de caoutchouc qui s'enfile au bout du pied avec des petites pointes en métal. C'est mieux que rien !
Nous croisons quelques familles réunies avec les enfants pour faire de la luge, et deux randonneurs à skis qui nous dépassent. Nous faisons l'attraction du coin et avons le droit à quelques selfies. 
C'est après deux heures d'effort que nous parvenons au sommet du col. Les sapins sont recouverts de neige. Il a dû en tomber une bonne couche quelques jours auparavant. C'est magnifique ! On ne se doute pas encore que la descente va être une nouvelle épreuve de force, et non pas une délivrance. En effet, les vélos nous entraînent avec la gravité et les retenir dans la neige n'est pas du tout évident. 10 km de calvaire, la plus longue descente de ma vie, interminable...
À 15h, nous abordons un village et retrouvons l'asphalte qui nous permet de remonter en selle. Nos bras sont complètement congestionnés. Maintenant, ce sont les plaques de verglas dont il faut se méfier. Il gèle de ce côté de la vallée, un froid de canard ! Un panneau annonce quarante kilomètres pour rejoindre Trstenà. Une fois là-bas, la frontière sera proche et l'on devrait voir les Tatras se dresser face à nous, les plus hauts sommets culminent à près de 3000 mètres. Nous bivouaquons dans une immense forêt juste devant une cabane malheureusement fermée. La température est glaçiale, la boue est gelée, nous sommes frigorifiés. Avec la fatigue, on a l'impression qu'il fait -20°C ! On ne prend même pas la peine de faire du feu et glissons directement dans nos duvets, emmitouflés de toutes nos couches de vêtements. Je jette un œil sur le thermomètre avant de dormir : -4°C sous la tente... 








Passage au sommet du col le 1er janvier.
Passage au sommet du col le 1er janvier.






Nous attaquons la descente en glissade, qui s'annonce plus compliquée que la montée.
Nous attaquons la descente en glissade, qui s'annonce plus compliquée que la montée.
Un air de Canada.
Un air de Canada.






Bivouac dans un congélateur.
Bivouac dans un congélateur.





2 JANVIER


Honnêtement, je pense que la seule chose qui nous fait sortir du duvet ce matin, c'est le fait de savoir que la fin est proche. Tout est gelé. Par chance, il fait beau et le soleil se dresse face à nous, ce qui vient agréablement nous réchauffer. Après le café, je m'occupe de rincer les chaînes, les dérailleurs et les patins de freins des vélos à l'eau chaude, et nous mettons les voiles en direction de Trstenà. On a l'impression d'être au Canada par ici, avec ses immenses forêts et ses poids lourds chargés de troncs d'arbres qui nous dépassent de temps à autre. Le décor est magnifique. La route descend légèrement, assez pour se laisser glisser. Nous arrivons vers 14h au lac d'Orava. Le coin est vraiment sympa, il y a des campings le long du lac, des jolies cabanes en bois. Il me faut m'arrêter de plus en plus souvent pour resserrer les boulons de ma roue avant afin de limiter le jeu. Je pense qu'avec le poids des chaussures de ski et la roue qui ballotte de droite à gauche depuis déjà près d'un mois, les roulements du moyeu sont complètement morts. Le bruit s'accentue et il est vraiment temps d'arriver.
Nous marquons une courte pause à Trstenà pour grignoter et repérons une jolie piste cyclable qui devrait nous mener jusqu'à Czarny Dunajec, en Pologne. Environ 25 kilomètres de pistes à travers la campagne. Une fois là-bas, 15 bornes tout au plus pour atteindre Kościelisko, notre objectif final. La fin est proche ! Plus loin sur la piste, nous apercevons enfin les Tatras. Les sommets dans les nuages, le ciel chargé de neige. On ne réalise pas tout à fait que le voyage touche à sa fin. Plus de 2 mois sur la route, l'impression d'y être depuis deux ans. Quelle aventure ! Nous décidons de faire un dernier bivouac, symbolique. On se réserve les 20 derniers kilomètres pour demain matin, histoire de pouvoir les déguster. Demain, si tout se passe bien, nous arriverons chez nos amis, dans notre petit gîte où nous passerons l'hiver, au pied des montagnes. Ce rythme incessant prendra fin, finis les bivouacs, les vélos au garage et des souvenirs gravés à jamais dans nos esprits.


Le lac d'Orava.
Le lac d'Orava.
Les Tatras à l'horizon.
Les Tatras à l'horizon.
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