2 membres et 50 invités en ligne

Une marche à travers l'Europe

(en cours)
Récit d'une traversée d'Europe à pieds en solitaire et par les montagnes, du détroit de Gibraltar à Istanbul.
randonnée/trek
Quand : 19/02/23
Durée : 500 jours
Distance globale : 6642km
Dénivelées : +184825m / -182636m
Alti min/max : -1m/3013m
Carnet publié par SamuelK le 08 oct. 2023
modifié le il y a 46 minutes
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
Précisions : Pour me rendre au départ : bus de Bordeaux à Tarifa. Pour le retour : en voilier par la méditerranée ?
Coup de coeur ! 1653 lecteur(s) -
Vue d'ensemble

Le topo : Les Alpes : Belladore > Bolzano (Parco Nazionale dello Stelvio, Südtirol) (mise à jour : 08 oct. 2023)

Distance section : 148km
Dénivelées section : +8228m / -8711m
Section Alti min/max : 241m/3013m

Description :

23/08/2023 > 02/09/2023
153 km ; D+ 9,9 km ; D- 10,4 km

Télécharger traces et points de cette section au format GPX , KML
Télécharger traces et points pour l'ensemble du carnet (toutes les sections) GPX , KML

Le compte-rendu : Les Alpes : Belladore > Bolzano (Parco Nazionale dello Stelvio, Südtirol) (mise à jour : 08 oct. 2023)

Depuis Belladore, nous nous dirigeons vers l'Est dans le grand Parco Nazionale dello Stelvio, ou Nationalpark Stilfser Joch en allemand. L'itinéraire choisi nous amène à crapahuter dans les pierriers et gravir quelques nouveaux cols et sommets à 3000m d'altitude. De très nombreux malgas sont présents dans ces montagnes. Ce sont de longs bâtiments qui abritent le bétail en été avec en général une habitation à côté. Certains sont abandonnés, d'autres semblent entretenus mais inutilisés, et d'autres enfin sont bien en service. Ça fait plaisir de voir une activité agricole d'estive et d'altitude là où elle est beaucoup supplantée par le tourisme dans les pays riches. Beaucoup de ces malgas ont une pièce réservée à l'accueil des marcheurs, avec un aménagement très variable mais toujours fonctionnel et bienvenu pour y passer la nuit. Lorsque avant de découvrir cette réalité nous voyons sur la cartographique OpenStreetMap tous les points mentionnés comme "Abri", ça nous paraissait louche pour être vrai. Et finalement oui, il y a bien sûr toujours des surprises, disons des malgas "faux positif" ou "faux négatif", mais la région est bien couverte d'abris, plus que nécessaire même pour y dormir chaque soir. Nous enchainons ainsi sept nuits en malga et laissons la tente au fond du sac. Une journée même, nous nous réveillons dans un premier malga, nous prenons une pause café dans un deuxième malga, nous déjeunons sur la terrasse d'un troisième malga, et dormons enfin dans un quatrième malga. C'est le luxe, ça donne envie d'en déplacer certains vers des zones sans cabanes pour équilibrer, pure fiction bien sûr.

Deux jours de fortes précipitations et vents forts sont annoncés. Cela fait plusieurs jours que je ressens le besoin de prendre une journée de pause, mais je peux encore continuer, autant faire coïncider jours de pause et jours de pluie. Nous nous arrêterons donc dans un de ces malgas, toujours avec le suspens de découvrir quel niveau de confort nous y attend pour se reposer et laisser passer la météo hostile. Nous arrivons dans le Malga Cercen Alta, ouvrons la porte et découvrons les lieux : une pièce assez grande carrelée, propre, avec une table, des bancs et des chaises, un buffet avec un peu de vaisselle et même un lavabo qui capte l'eau du ruisseau. Ce n'est pas spécialement chaleureux mais tout à fait fonctionnel. Bien sûr nous rêvions aussi de lits et même d'une cheminée comme parfois, mais c'est du bonus. Nous nous disons "OK, donc nous allons passer trois nuits et deux jours dans cette pièce". Cela paraît long et stimulant à la fois. Comme toujours, le temps passe vite. Finalement la météo était bien meilleure qu'annoncée, il aurait été possible bien que rude de marcher. Mais j'avais de toute manière besoin d'un jour de repos et il n'y avait pas à hésiter au vu de ce qui était annoncé en termes de millimètres de précipitations, orages et vitesse du vent. Le temps s'est par ailleurs soudainement rafraîchi l'espace d'une semaine. Il fait 10-15°C le jour et 0-5°C la nuit avec un ciel nuageux, un peu de vent et quelques averses timides. Cela fait frais quand on s'arrête manger, au moment de partir le matin ou de se laver le soir, mais c'est agréable. Je préfère de loin marcher dans ces conditions que par 25-30°C voire 35°C sous un soleil tapant. Je redécouvre la sensation de ne pas devoir boire et transpirer en continu pour réguler ma température. Puis un temps chaud mais pas caniculaire reviendra.

En plus de ses nombreux malgas, le Parco Nazionale dello Stelvio possède de nombreux sentiers bien entretenus et balisés. Mis à part à proximité de quelques villes et parkings, nous ne croisons toutefois personne et n'avons plus le suspens de découvrir si nous allons passer la soirée seuls ou en compagnie : nous sommes toujours seuls. De manière plus générale, le bivouac semble encore moins pratiqué. Depuis Grenoble je n'ai vu aucune tente ou tarp, tout au plus quelques fois des gens qui semblaient marcher en itinérance-autonomie. De même, soit je suis littéralement seul, soit je suis avec de nombreux touristes internationaux qui logent dans les villages-vacances. Entre les deux et grâce aux bivaccos, il y a ces zones où la montagne est connue par les locaux mais épargnée par le tourisme de masse, tel que le Val Grande ou le massif au Nord du lac de Como. Peut-être que je me sens seul comme marcheur-bivouaqueur car je dessine mon propre itinéraire et ne marche pas un itinéraire connu et reconnu tels que le GR5 en France ou la Via Alpina. On me demande souvent d'ailleurs "Ah tu fais les chemins de Compostelle ?" ou "Je connais pas cet itinéraire il s'appelle comment ?". Parfois même des marcheurs ou marcheuses habitué•es ont du mal à comprendre. En tout cas, c'est à se demander où va tout le matériel de camping et voyage vendu dans les magasins de sport.

Après le Parco Nazionale dello Stelvio et sans nous en rendre compte, nous changeons de région et entrons dans le Sud-Tyrol, 'Südtirol' en allemand et 'Provincia Autonoma di Bolzano' ou 'Alto Adige' en italien. J'étais étonné en voyant tant de noms allemands en Italie sur la carte, sans me questionner davantage. Je ne connaissais pas l'existence et la particularité de cette region. Composant une grande partie du Nord-Est de l'Italie, le Sud-Tyol faisait partie de l'Autriche-Hongrie et fut rattaché à l'Italie à la fin de la première guerre mondiale. Les populations germanophones et italophones cohabitatent donc depuis, avec une histoire mouvementée que je ne tenterais pas de résumer. L'article wikipedia dédié est assez complet je trouve. La région a un statut d'autonomie poussé depuis 1972. Aujourd'hui les deux langues officielles sont parlées et beaucoup d'habitants sont bilingues. Au-delà de la langue, le changement de région se fait aussi sentir par un changement de paysage et d'atmosphère dont tout n'est pas identifiable. Le territoire montagneux se partage entre vastes forêts et pâturages, avec une activité d'élevage visiblement répandue et emblématique. Les grands bâtiments agricoles en pierre et en bois dans ce paysage m'évoquent l'imaginaire que j'ai de l'Autriche. Après quelques jours de marche dans ce paysage, nous arrivons à la grande ville étape de Bolzano. Cette arrivée a beaucoup de ressemblances avec mon arrivée à Grenoble il y a bientôt trois mois déjà. Nous voyons cette métropole de loin depuis les montagnes et nous y descendons à travers des falaises verticales qui rappellent le Vercors. La ville est au carrefour de différentes grandes vallées et axes routiers, et est entourée par des massifs montagneux distincts. Le parallèle est vraiment frappant. Et comme il est toujours tentant de comparer ce que l'on découvre avec ce que l'on connait, l'arrivée à Bolzano m'évoque aussi mon Alsace d'adoption. Nous descendons par la forêt où des châteaux forts surplombent la vallée, puis traversons des villages fleuris avec des maisons à colombage, espacés par des vignobles. Là aussi la ressemblance avec les Vosges et la plaine alsacienne est amusante ! Nous pensons arriver tard à Bolzano, passer deux nuits à l'hôtel et une journée en ville avant que Mathéou reparte. En milieu de journée nous cherchons un logement sur internet et surprise : il n'y a rien à moins de 200€ la nuit. On a du mal à y croire mais nous nous rendons à l'évidence que c'est le cas. Ah il y a une auberge de jeunesse, nous appelons, c'est complet. Bien, nous étions partants pour payer l'hôtel mais à ce prix nous n'y songeons même pas, nous ferons nos clochards célestes au-dessus de la ville. Nous sommes tout de même touchés et énervés par cette démesure. Se loger une nuit à Bolzano est donc réservé aux plus riches. Certes nous pourrions si nous voulions, et préférerions d'ailleurs aller en ville vraiment, mais nous ne sommes pas dans le besoin et là ne voulons même plus, c'est juste triste à constater et énervant, mais pas grave pour nous. Nous repérons sur la carte une colline qui surplombe la ville cinq kilomètres en amont de celle-ci. L'intuition était bonne : l'endroit n'est pas incroyable mais "bivouaquable" et nous avons une vue sur la ville. C'est marrant d'être assis dans ce bosquet surélevé et d'avoir dans notre champ de vision un château fort, des vergers, une piste cyclable, l'autoroute sans traffic à cette heure-ci, une station essence déserte avec son éclairage de nuit, un chemin de fer avec un train qui passe à intervalles réguliers, la ville qui s'allume, les montagnes au loin, et là où nous sommes un bout de forêt avec ses bruits d'oiseaux et d'insectes.

Le lendemain nous marchons les derniers kilomètres jusqu'à Bolzano d'où Mathéou reprend le train et le bus pour la France. Je profite d'être dans cette grande ville pour acheter une nouvelle paire de bâtons. J'ai remarqué la veille qu'une fissure s'est formée sur une section d'un bâton. Lorsque la section sera complète le bâton cassera et selon le moment, cela peut être plus que dangereux. J'aurais bien aimé amener cette paire qui me suit depuis 5 ans jusqu'à Istanbul mais n'hésite pas à les remplacer. J'estime avoir marché au moins 5000 km avec ces bâtons. Selon mon fameux calcul pour appréhender le coût au quotidien et la durabilité de mon équipement, cela revient à environ 2 centimes par kilomètre ou 40 centimes par jour de marche, tout de même.

J'ai très envie d'une journée off et d'un check-up corporel et matériel mais le coût des hébergements en ville ne m'y autorise pas. Je passe donc une seconde nuit un peu hors de la ville pour y retourner le lendemain, sur une colline où je monte péniblement et où je dors entre moustiques et déchets laissés au sol. Là ça fait plus marginal que clochard céleste. Si l'auberge de jeunesse est toujours complète demain, je repartirai donc sans mon check-up. Ils ont une place, chouette. Je profite de cette journée pour aller visiter le musée archéologique du Haut-Adige consacré à Ötzi, un homme qui a vécu il y a 5200 ans à l'âge de cuivre, naturellement momifié dans la glace et retrouvé par hasard en 1991 à 3200m d'altitude dans la région, et dont l'étude a apporté de nombreuses connaissances sur cette période de l'humanité. Le musée présente notamment tous les vêtements et accessoires trouvés congelés dans la montagne autour de la momie : pagne en peau de chèvre, veste en cuir de chamois et bouquetin, bonnet en fourrure d'ours, chaussures en peau d'ours et de cerf isolées avec du foin, arc en if, carquois en écorces de bouleau, hache à lame de cuir pur, champignons médicinaux et bien d'autres, ainsi que de quoi réparer ses outils et ses vêtements, ou encore de quoi allumer un feu. Je trouve toujours fascinant et stimulant, mais aussi perturbant et vertigineux, de tenter d'imaginer à partir de ces éléments la vie de l'humain à cette époque. Car nous sommes comme eux et elles, nous sommes la même espèce, nous sommes les mêmes, à deux époque différentes.

Bolzano est symboliquement une ville étape importante pour moi car elle représente exactement la moitié de mon itinéraire estimé du détroit de Gibraltar jusqu'à Istanbul : 3500 km et 125 km de dénivelé, sur 7000 km et 250 km de dénivelé estimés. Cela fait six mois que je marche depuis mon départ en Espagne fin-février. Déjà six mois ou tout de même six mois, une période vite passée et une période dense, ces deux sensations sont vraies. De même je peux me dire qu'il me reste "tout ça" ou "que ça". Une personne rencontrée au cours de cette marche m'a joliment écrit "Tu laisses la moitié de ton voyage derrière toi". Presque un mois plus tard au moment où j'écris cette publication, je me dis qu'effectivent ce mode de vie est à la fois dense et paisible, et que je compte bien continuer à le vivre et l'explorer.
En hauteur à 3000m dans les pierriers...
En hauteur à 3000m dans les pierriers...
...et au bord des glaciers.
...et au bord des glaciers.
Un sac bien rempli de victuailles pour passer deux jours à l'abri dans un malga pour se reposer et laisser passer le mauvais temps.
Un sac bien rempli de victuailles pour passer deux jours à l'abri dans un malga pour se reposer et laisser passer le mauvais temps.
Un des très nombreux malgas qui parsèment les montagnes du Parco Nazionale dello Stelvio.
Un des très nombreux malgas qui parsèment les montagnes du Parco Nazionale dello Stelvio.
Intérieur d'un malga pour le bétail.
Intérieur d'un malga pour le bétail.
Nouveau 3000m, nouveau désert de cailloux.
Nouveau 3000m, nouveau désert de cailloux.
On change de region : arrivée dans le Sud-Tyrol. Beaucoup de forêts, des prairies, de grandes fermes, toujours en montagne, et là-bas au loin : les Dolomites.
On change de region : arrivée dans le Sud-Tyrol. Beaucoup de forêts, des prairies, de grandes fermes, toujours en montagne, et là-bas au loin : les Dolomites.
Clavaire, un corail dans la forêt
Clavaire, un corail dans la forêt
Culture de la vigne en pergola dans les alentours de Bolzano.
Culture de la vigne en pergola dans les alentours de Bolzano.
Descente vers Bolzano, qui me rappele mon arrivée à Grenoble il y a trois mois.
Descente vers Bolzano, qui me rappele mon arrivée à Grenoble il y a trois mois.
Bolzano. Voilà six mois que je suis parti de Tarifa au Sud de l'Espagne. J'ai marché 3500km avec 125km de dénivelé, soit la moitié de mon itinéraire estimé jusqu'à Istanbul.
Bolzano. Voilà six mois que je suis parti de Tarifa au Sud de l'Espagne. J'ai marché 3500km avec 125km de dénivelé, soit la moitié de mon itinéraire estimé jusqu'à Istanbul.
Vue sur Bolzano depuis une colline où je passe la nuit.
Vue sur Bolzano depuis une colline où je passe la nuit.
Commentaires