2 membres et 42 invités en ligne

Une marche à travers l'Europe

(en cours)
Récit d'une traversée d'Europe à pieds en solitaire et par les montagnes, du détroit de Gibraltar à Istanbul.
randonnée/trek
Quand : 19/02/23
Durée : 500 jours
Distance globale : 6642km
Dénivelées : +184825m / -182636m
Alti min/max : -1m/3013m
Carnet publié par SamuelK le 08 oct. 2023
modifié le il y a 47 minutes
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
Précisions : Pour me rendre au départ : bus de Bordeaux à Tarifa. Pour le retour : en voilier par la méditerranée ?
Coup de coeur ! 1653 lecteur(s) -
Vue d'ensemble

Le topo : Istanbul (mise à jour : 20 avr.)

Description :

22/03/24 > 12/04/2024

Le compte-rendu : Istanbul (mise à jour : 20 avr.)


Me voilà à Istanbul. Je suis parti d'une extrémité de l'Europe, face à l'Afrique, pour rejoindre cette autre extrémité et cet autre détroit, face à l'Asie. Après une longue marche à travers le continent, m'y voilà. L'origine du nom "Istanbul" vient d'une expression qu'utilisaient les grecs pour dire "Je vais à la ville". C'est effectivement ce que j'ai fait pendant ces 13 mois de marche, je suis allé à la ville, et quelle ville ! Istanbul est la huitième plus grande ville du monde. Elle compte officiellement 16 millions d'habitants, certains parlent de 20 millions, soit à peu près autant que la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie et la Bulgarie réunies. C'est un pays dans un pays, un pays d'urbanisme qui s'étend de part et d'autre du Bosphore sur une centaine de kilomètres de long. Je trouve la géographie de la ville et de la région passionante. Au nord s'étend la mer noire, dont le pourtour touche les frontières de la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, l'Ukraine, la Russie et la Géorgie. Le détroit du Bosphore et, plus au sud, le détroit des Dardanelles, semblent avoir été dessinés pour former des passages maritimes afin de relier entre elles la mer noire, la mer de Marmara, et la mer Égée. Cette dernière héberge une constellation d'îles et d'archipelles, puis s'ouvre sur la grande mer méditerranée, dont le détroit de Gibraltar semble lui aussi avoir été dessiné pour joindre l'Atlantique.

Istanbul est en plein cœur de ce beau Bosphore qui scinde la ville en une rive européenne et une rive asiatique. Même la partie européenne est séparée par l'estuaire de la corne d'or. Pourtant, l'eau ne cloisone pas la vie urbaine qui s'épanouit de chaque côté du détroit, traversable de toutes parts par de nombreux ferries que l'on emprunte comme des bus. J'ai ri la première fois que j'ai entendu naturellement "aller en Asie" ou "aller en Europe", puis je m'y suis vite accoutumé et ai adopté l'expression. Ainsi se mêlent l'air marin, le relief des collines, la beauté d'une ville à l'histoire incroyable, la magie de la rencontre et du mélange de deux continents, une densité de population folle dans une urbanisation effrénée, formant un tout que l'on nomme Istanbul.

Je suis venu ici à pieds, ayant pour cap et pour objectif cette ville symbolique. Alors n'ayant délibérément pas de contrainte de temps, je vais y rester pour une période décente, sans prédire quand il sera opportun de repartir. Cette absence de contrainte, autrement dit cette liberté, est un luxe rassurant mais peut aussi être une difficulté pour me fixer moi-même un cadre et me motiver. J'ai la grande chance d'être hébergé pendant tout mon séjour chez Virgile, un français installé à Istanbul depuis 12 ans. Je bénéficie donc du confort matériel d'un appartement, où je peux étaler mon matériel pour une grosse session nettoyage et entretien. Un confort où, comme lorsque je suis seul à l'hôtel, je peux parfois avoir étonnement du mal à faire preuve d'auto-discipline et m'activer pour sortir ou faire ce dont j'ai réellement envie. Alors que j'ai dû sans cesse faire preuve d'auto-discipline, d'efforts bien plus significatifs, d'adaptation ou de ténacité pour venir jusqu'ici, cela reste bien mystérieux. Liberté et difficulté s'entremêlent, le temps fait son œuvre et je peux découvrir et profiter d'Istanbul sans me presser.

En Bosnie-Herzégovine je m'étais découvert une passion pour les mosquées, des lieux que je trouve beaux, paisibles et vivants. J'aime les visiter, contempler ces monuments qui le méritent bien, m'asseoir et méditer, et si j'ai la chance même y dormir. Alors à Istanbul, je suis servi, dépassé même ! La ville héberge une quantité et une densité folles de mosquées, qui sont toutes des monuments exceptionnels, construits au fil de l'empire ottoman et de ses sultans. Chacune mériterait une attention et même une contempplation approfondies, tant elles constituent un amoncellement de moyens architecturaux et artistiques. Mais face à autant de beauté mais aussi de mégalomanie, le cerveau sature et c'est nonchalamment qu'après avoir déjà visité cinq mosquées dans une journée, je peux passer à côté d'une sixième tout aussi incroyable sans y rentrer. En cette période de ramadan et en particulier dans certains quartiers, les mosquées sont très fréquentées en fin de journée. Dans la cours ou à l'extérieur, en famille et entre amis, on prépare convivialement l'iftar.

C'est également la période des élections municipales dont j'ai déjà saisi l'importance. Voilà une bonne occasion de parler politique. À Istanbul comme dans les autres petites villes et villages que j'ai traversés, les affiches, drapeaux, camions, stands, pubs, etc., rivalisent d'envergure et envahissent l'espace public. Le soir des élections, je vais manger dans une lokanta (cantine turque) pour suivre les résultats à la télé. Le principal parti d'opposition remporte Istanbul et la plupart des grandes villes, et est majoritaire dans le pays. Pour beaucoup, ces élections annoncent lors des prochaines élections présidentielles, la fin du règne d'Erdoğan et de son parti, au pouvoir depuis 20 ans. Dans les jours qui suivent, je n'aurai jamais vu autant de personnes se réjouir des résultats d'une élection.

Pendant plusieurs jours, j'explore la ville à pieds pour, comme au cours de ma longue marche, traverser et voir tous types d'endroits, ne pas occulter volontairement des réalités. C'est avec satisfaction que je prends mes marques dans la ville, que j'apprivoise la géographie, retiens le nom des quartiers. Le beau et la magie de cette ville unique s'amalgament avec la tristesse de l'exode rurale et le moche de l'urbanisation. En 1950, Istanbul comptait un millon d'habitants... Aujourd'hui encore, à l'ouest et à l'est, la ville continue d'empiéter sur la terre, d'ériger de nouveaux immeubles et quartiers toujours plus loins du centre. Beaucoup d'agriculteurs ne pouvant survir économiquement face à des produits importés du Brésil ou d'ailleurs, des familles viennent chercher des travails modestes en ville, et passent des heures dans des transports déjà surchargés. Beau ou moche, ou les deux, tout cela reste assurément intéressant. Ici se vivent aussi beaucoup de réalités loins de celles que j'ai côtoyées cette année. Je suis peu passé par les villes, et n'ai jamais été dans une de ces grandes mégalopoles mondiales. C'est l'occasion d'en avoir un aperçu, et de flâner dans mes pensées nourries par ce que j'ai vécu.

Istanbul, c'est aussi la ville du tourisme... de masse. 17 millions de touristes par an, dont j'ai fait partie contre mon gré. Comme au marché de Noël de Strasbourg où j'habitais avant cette aventure, deux populations distinctes peinent à cohabiter dans le même espace et se gardent d'interagir entre elles. Même pour les touristes, il y a trop de touristes. Sur la pointe européenne qui touche le Bosphore, la zone qui abrite le palais de Topkapı, la mosquée Sainte-Sophie et la mosquée bleue, est envahie et concédée à ce business ici concentré. Une fois de plus, je suis choqué et énervé par les gens, la foule, en particulier dans les mosquées. Alors que ce sont des lieux calmes qui imposent d'eux-mêmes, me semble-t-il, silence, respect et humilité, ces sanctuaires de beauté et d'histoire où viennent tout de même prier quelques fidèles, se voient piétinés par un foule qui parle, crie, se bouscule pour se prendre en photo. Se taire et prendre le temps de regarder vraiment, autrement qu'à travers l'écran de son téléphone, semble utopique. On ne vient pas là pour ça, même les guides touristiques crient pour couvrir le son du brouhaha et montrent du doigts les fidèles qui prient pour expliquer l'islam, comme on montrerait un animal dans un zoo pour expliquer son mode de vie. Comme dans le désert des Badernas en Espagne, comme dans les Dolomites en Italie, l'écœurement et la colère en moi masquent la contemplation et l'émerveillement que je pourrais sinon ressentir dans de tels lieux. Le tourisme de masse vient consommer salement Istanbul. De mes yeux, je ne vois pas une quête de découverte, d'apprentissage ou de rencontre, mais la simple consommation d'un produit exotique. En voyant ce monde bruyant se prendre sans cesse et fièrement en photo, je me demande quel mérite ou satisfaction y a-t-il à s'afficher avec tant de vanité ? Je rêve d'un monde où l'on s'intéresse et rêve à des lieux lointains, pour peut-être s'y rendre un jour et les découvrir de nos yeux avec émotion. J'aurais aimé ressentir cela, tel un voyageur qui parcourt le monde et rentre témoigner de ces lieux. Malheureusement pour moi, Istanbul est accessible en avion depuis le monde entier pour toutes celles et ceux qui en ont les moyens, et viennent en majorité passer un court séjour avant d'aller directement en Cappadoce puis à Antalya pour "faire la Turquie". La beauté et l'exotisme de la mosquée bleue et de Sainte-Sophie m'ont ainsi été volés, mais c'est anecdotique. Une fois de plus c'est tout ce que cela représente et implique qui m'affecte, et quant à moi je ramènerai d'autres souvenirs et témoignages.

Difficile pour moi de ressentir un sentiment d'arrivée et d'accomplissement, seul dans une telle ville et devenant subitement un touriste parmi d'autres. Heureusement, de belles rencontres rompent cet anonymat et marquent mon séjour à Istanbul. Grâce à des connaissances de connaissances, à mes initiatives ou au hasard, je suis gâté. Je rencontre Oytun, membre de l'association hikingistanbul qui organise des randonnées chaque dimanche en périphérie d'Istanbul. Oytun est de plus très impliqué dans la création et la promotion d'itinéraires de randonnée en Turquie. Il n'y a exceptionnellement pas de marche pendant mon séjour à cause du ramadan et des élections. Mais adorable et passionné, en plus de me conseiller et de me faire rêver sur la carte de Turquie, Oytun m'emmène marcher une journée dans un coin insolite, alors même qu'il jeûne et qu'il fait dorénavant beau et chaud. Un guide parfait, de chouettes échanges, un intérêt mutuel, une belle rencontre. Amro m'accueille comme un roi dans son restaurant où une diaspora palestinienne vient rompre le jeûne le soir. Kübra m'emmène visiter les îles des princes dans la mer de Marmara. Je passe deux soirées festives avec Necmi et ses ami•es, dans une convivialité touchante, où nous célébrons les élections et mon arrivée à Istanbul, ou simplement la joie de vivre. Juste avant de repartir, Mary venue de Russie me fait découvrir son univers et nous nous encourageons mutuellement dans nos projets. Et je suis très reconnaissant envers Virgile qui m'a hébergé pendant trois semaines. Malgré nos différences peut-être vertigineuses, nous avons réussi à nous rencontrer et nous bousculer, et j'ai été touché par son admiration pour ma marche.

Après trois semaines à Istanbul, il est plus que temps de repartir. Je me suis habitué de force à un faux confort et à un environnement qui ne me réussit que brièvement, et surtout je suis entrain de louper l'arrivée du printemps. Au cours de ces treize mois de marche, je ne savais pas ce que je ferai une fois arrivé à Istanbul. Je voulais laisser la porte ouverte sans impératif et sans prévoir. Évidemment, je ne suis pas venu ici à pieds pour ensuite me téléporter en avion. J'ai déjà écarté l'option de rentrer en France en bus et train. J'ai laissé décanté les idées et me suis décidé pendant mon séjour sur le Bosphore. Alors comment et où vais-je repartir ?...


Depuis la mosquée Süleylaniye. De l'autre côté du Bosphore : l'Asie.
Depuis la mosquée Süleylaniye. De l'autre côté du Bosphore : l'Asie.
Kız Kulesi
Kız Kulesi
Au bord de la corne d'or
Au bord de la corne d'or
Les deux rives se relient aisément en ferry. Le transport en commun est une croisière sur le Bosphore.
Les deux rives se relient aisément en ferry. Le transport en commun est une croisière sur le Bosphore.
Yeni Cami (Mosquée neuve) de jour...
Yeni Cami (Mosquée neuve) de jour...
...et de nuit
...et de nuit
Sultanahmet Camii (Mosquée bleue)
Sultanahmet Camii (Mosquée bleue)
AyaSofya Camii (Mosquée Sainte-Sophie)
AyaSofya Camii (Mosquée Sainte-Sophie)
Süleymaniye Camii
Süleymaniye Camii
Eyüp Sultan Camii
Eyüp Sultan Camii
Büyük Mecidiye Camii (Mosquée d'Ortaköy)
Büyük Mecidiye Camii (Mosquée d'Ortaköy)
Camlıca Cami. Immense mosquée construite récemment sur un sommet de la rive asiatique, à l'initiative d'Erdoğan, inaugurée en 2019.
Camlıca Cami. Immense mosquée construite récemment sur un sommet de la rive asiatique, à l'initiative d'Erdoğan, inaugurée en 2019.
Les élections sont pour bientôt.
Les élections sont pour bientôt.
Le détroit du Bosphore est un axe maritime et commercial très important, notament pour l'Ukraine et la Russie qui exportent par voie maritime.
Le détroit du Bosphore est un axe maritime et commercial très important, notament pour l'Ukraine et la Russie qui exportent par voie maritime.
Depuis les îles des princes. Observation de l'éclosion des bourgeons et du traffic maritime.
Depuis les îles des princes. Observation de l'éclosion des bourgeons et du traffic maritime.
Forêt de Belgrade, en périphérie d'Istanbul. Ça y sst, les arbres sortent leurs premières feuilles.
Forêt de Belgrade, en périphérie d'Istanbul. Ça y sst, les arbres sortent leurs premières feuilles.
Oytun m'emmène marcher sur ce barrage ottoman, toujours utilisé pour alimenter Istanbul en eau (non potable). Les chiens errants nous font toujours compagnie.
Oytun m'emmène marcher sur ce barrage ottoman, toujours utilisé pour alimenter Istanbul en eau (non potable). Les chiens errants nous font toujours compagnie.
Orphys miroir, une orchidée qui se prend pour une abeille.
Orphys miroir, une orchidée qui se prend pour une abeille.
C'est sûr : le printemps s'installe. C'est sûr : je ne veux pas manquer ce spectacle quotidien ! Il se fait temps de quitter Istanbul.
C'est sûr : le printemps s'installe. C'est sûr : je ne veux pas manquer ce spectacle quotidien ! Il se fait temps de quitter Istanbul.
Commentaires